Le portrait de Stéphane Chaudesaigues par François Chauvin

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Lundi, 13 Mars 2017

Journaliste ayant notamment écrit pour le magazine Inked et auteur passionné de tattoo, François Chauvin dresse un portrait par le menu de Stéphane Chaudesaigues et, par la même occasion, de Graphicaderme, Tatouage & Partage, Pain, Vin, Fromages… et le Cantal Ink. Un tableau peint à l’encre de dermographe que nous vous invitons à découvrir.

Pain, Vin, Fromages. C’est l’explicite enseigne d’un restaurant qui s’installera, courant 2018, aux portes du casino de la petite cité thermale de Chaudes-Aigues. Une toute nouvelle adresse à l’initiative de Stéphane Chaudesaigues et de son épouse, Cécile. Un restaurant. Donc un univers qui semble à quelques années lumières de celui dans lequel évolue Stéphane Chaudesaigues. Mais qui s’explique. Pleinement. D’abord Cécile est, comme on dit, du métier. Ensuite, Stéphane n’est jamais à court d’idées, d’envies, de projets pour faire vivre et connaître Chaudes-Aigues, cet encore discret coin du Cantal qu’il se plait aujourd’hui à appeler « mon village ».

Chaudes-Aigues. Stéphane Chaudesaigues. Le lien semble évident. Stéphane a commencé à le tisser, dès l’âge de 6 ans, happé, alors qu’il jouait sur le tapis du salon, par la téloche qui diffusait un reportage consacré à un village qui portait… son nom, le trait d’union en plus.

Son enfance, Stéphane Chaudesaigues la traverse pourtant loin de Chaudes-Aigues.  À Versailles. Attends, attends… Pas le Versailles du château et de ses ors, pas le Versailles des lodens, des serre-têtes et des jupes plissées, non, non : le Versailles des « loubards », des « barres HLM, tristes, glauques ». Milieu prolo, mais pas miséreux : « On vivait en HLM mais on était heureux ». Heureux mais en quête de ses racines, l’enfant Stéphane, avec un père qui « s’est un peu contenté de lui laisser son nom », qui l’a « un peu oublié, pour ne pas dire abandonné… ». Alors, devant le petit écran, Stéphane avec l’ « imaginaire d’un enfant de 6 ans » se persuade qu’il « vient de ce petit village », qu’à Chaudes-Aigues sont effectivement « ses racines » : « C’était rassurant, je me suis construit avec ça ».

Jeune adulte, Stéphane Chaudesaigues estime qu’il est « temps de faire le point », fait appel à deux généalogistes qui « remontent la filiation » jusqu’au début du XVIIe siècle et un certain Jean-Étienne Chaudesaigues, garde-chasse de la forêt royale à Fridefont, bourg perché à une quinzaine de kilomètres de Chaudes-Aigues. L’une des branches de cet arbre généalogique pousse jusqu’à l’arrière-petit-fils de Jean-Étienne, un certain Eusèbe, créateur au XIXe siècle d’un prix d’architecture décerné dans le cadre de la prestigieuse école des Beaux-Arts de Paris. C’est en hommage à cet Eusèbe Chaudesaigues et à son prix qu’en 2012, Stéphane et le grand frère Patrick (tatoueur, peintre et fabricant de machines à tatouer) créent le Chaudesaigues Award, destiné à récompenser, chaque année, l’un des (sinon le !) meilleurs tatoueurs du monde. Award qui sera en 2017, après vote des internautes, remis en public dans le cadre du Cantal Ink, Festival du Tatouage de Chaudes-Aigues.

Plus qu’une convention, un festival

Un festival du tatouage ?  À Chaudes-Aigues ? Dans une « zone rurale » un peu loin de tout ? C’est le projet, a priori un peu fou (« personne n’y croyait »), qu’a concrétisé Stéphane en 2013. En invitant dans cette petite station thermale la crème des tatoueurs internationaux pour le Cantal Ink qui, plus qu’une convention de tatouage, est – comme son sous-titre le précise – un festival, riche de multiples événements (concerts, expos, spectacles, conférences...) éparpillés dans le bourg. Une manifestation comme il n’en existe pas d’autres, en France ou ailleurs, et qui, dès le week-end de sa première édition, a vu défiler quelques 10 000 personnes dans un bourg qui, à l’année, ne compte même pas 1 000 habitants. Un Cantal Ink à l’ambiance des plus familiales, tout en convivialité, en proximité avec les tatoueurs invités, même avec les stars américaines (vues à la télé !) qui, pour certaines, sinon toutes, se déplacent par amitié pour leur collègue Stéphane Chaudesaigues.

Collègue ? Et ouais : Stéphane Chaudesaigues est tatoueur. Stéphane et le tatouage, c’est même une (très) longue histoire. Qu’on va prendre la peine de raconter depuis le début. Retour à Versailles donc. Quelque part vers la fin des seventies. Stéphane n’est grand que d’une petite dizaine d’années mais se découvre, déjà, fasciné par les tatouages qu’il surprend sur les bras de certains mecs de sa cité, ces marques bleues sans grand-chose d’artistique mais qui signent, en ces années-là, une appartenance à la marge. Fascination qui conduit Stéphane à se tatouer lui-même, dès ses 11 ans, avec une simple aiguille de couturière trempée dans l’encre. La maman crise, un peu… beaucoup ! Ce qui n’empêche en rien un Stéphane devenu adolescent de se décider à devenir tatoueur. Même s’il ne sait que tchi de ce métier, plus que discrètement représenté à l’époque en France.

Stéphane pénètre, quand même, un peu dans les arcanes du tatouage professionnel. En trainant ses guêtres, plus souvent qu’à son tour, chez les grands anciens. Comme Bruno, dans son studio de Pigalle, le premier à avoir ouvert à Paris, dès 1963. Ce Bruno, que Stéphane a déjà, par plusieurs fois, invité à évoquer son histoire, son métier de tatoueur lors du Cantal Ink. Juste retour des choses.

Stéphane hante également les grands musées parisiens, les bibliothèques, engloutit tout ce qui passe à sa portée et qui peut lui permettre de découvrir et d’apprendre les différentes techniques de dessin et de peinture : des sanguines au crayon en passant par l’aquarelle, l’huile, le fusain. « J’espérais faire de ma vie un chef-d’œuvre et pouvoir transformer la matière en or », confiera plus tard l’intéressé.

Et Stéphane s’« investit » dans le tatouage, « à une époque où personne n’en voulait, où le tatouage n’était pas fait pour plaire ». « On mangeait les cailloux qu’on nous jetait » lâche aujourd’hui, dans un demi-sourire, Stéphane.  Il ouvre pourtant sa première boutique, dès 1987 (Stéphane n’a alors que 19 ans…) : quelques mètres carrés à peine, sous l’enseigne Art Tattoo, sur la petite place Pignotte, derrière les remparts d’Avignon. Une boutique qui transforme son nom en Graphicaderme en 1989. Un nom que porteront quelques petites sœurs, à Vaison-la-Romaine, Orange, Valence, Nîmes… et, depuis 2013, à Chaudes-Aigues.

Artiste de l’année

À ses débuts comme tatoueur professionnel, Stéphane continue à apprendre : « Toutes les techniques pour évoluer et pour essayer de sortir un peu du lot étaient bonnes à prendre. Il fallait aller chercher l’information partout pour essayer d’être créatif et trouver sa petite voie ». Sa voie – plus royale que petite –, Stéphane la trouve, au travers du réalisme, un style de tatouage qu’il va faire sien. Avec une inclinaison très marquée pour le portrait. Et le noir et gris. Et des techniques qui lui sont propres : Stéphane Chaudesaigues est ainsi un des tout premiers à oublier les classiques outlines pour obtenir un rendu plus proche de la peinture que du tatouage. Stéphane affine ensuite ce style (son style), accomplit quelques « prouesses techniques », dilue ses encres noires pour gagner en profondeur, en luminosité, en réalisme justement. Même principe de dilution pour ses effets sépia qui rappellent les photos d’antan. Stéphane parvient également, quand il s’essaye à la couleur, à obtenir « il y a 25 ans, des subtils dégradés de rose, de bleu pale, aquarellés… ».

Des techniques (et un talent, aussi, vraiment) qui vont permettre à Stéphane de bluffer jusqu’aux Américains. Parce qu’au début des années 1990, Stéphane est un des rares tatoueurs français à s’offrir une traversée de l’Atlantique. Stéphane Chaudesaigues participe à sa première convention ricaine, dans le New Jersey en 1991 ; c’est à ce moment-là qu’il remporte ses premiers prix aux États-Unis. Et en 1995, lors d’une autre convention organisée à Nashville, la National Tattoo Association décerne carrément à Stéphane le titre de tattoo artist de l’année !

Stéphane, déjà très famille (papa dès 18 ans, il a aujourd’hui sept enfants et quatre petits enfants !), en trouve une autre dans le tatouage. Une famille avec laquelle Stéphane a – ce qu’il n’a pas connu à ses débuts – envie d’ « échanger, d’apprendre, de transmettre ». Ainsi sont les fondements de l’association qu’il créé en 2011 et dont le nom dit beaucoup sinon tout : Tatouage & Partage. Stéphane est aujourd’hui « toujours à fond » dans cette association dont il assure la présidence. Pour le côté partage, c’est l’organisation de séminaires dans lesquels les plus grands (Shane O’Neill, Nikko Hurtado, Hannah Aitchison, Joe Capobianco, Jeff Gogue…) dévoilent leurs techniques. Prochain rendez-vous, d’ailleurs, en novembre 2017, dans le palais des Papes (à Avignon, naturellement) avec Joshua Carlton et Thomas Carli Jarlier.

Mais l’objectif majeur de Tatouage & Partage reste bien celui de « la reconnaissance du métier de tatoueur » par les pouvoirs publics. Ce qui n’est – il n’est peut-être pas inutile de le préciser… – absolument pas le cas aujourd’hui : «  Tout le monde peut s’installer comme tatoueur, c’est tout et n’importe quoi » résume Stéphane Chaudesaigues. Pour qui, cette « reconnaissance passerait par un statut professionnel d’artisan d’art pour certains, d’artisan pour d’autre ». Stéphane précise sa pensée : « Je ne dis pas qu’il n’y a pas d’artistes tatoueurs – je sais qu’il y en a… – mais le gouvernement n’accordera jamais à l’ensemble des tatoueurs le statut d’artiste ». « Le statut d’artisan ou d’artisan d’art », développe Stéphane, offrirait « la possibilité d’avoir un cadre qui permette de former des apprentis, de transmettre le savoir de maître à apprenti, un peu comme dans le compagnonnage ». Une transmission dont Stéphane estime que les tatoueurs « doivent garder les rênes », ce qui sous-entend qu’il s’« oppose à l’ouverture d’écoles privées de tatouage ».

Tatoueur, encore et toujours

Le siège de Tatouage & Partage est à Avignon, ville à laquelle Stéphane est resté fidèle (il y tatoue encore, de temps à autre, aujourd’hui). Même si, jusqu’en 2014, il tatouait quelques jours par semaine à Paris, à La Bête Humaine/Atelier 168, sa boutique fondée en 2006, à l’ombre de Beaubourg et à l’orée du quartier du Marais. Mais ce qui devait arriver, arriva : Stéphane s’est installé à demeure à Chaudes-Aigues, en juin 2015. Les lourds travaux engagés deux bonnes années plus tôt sont terminés. Stéphane peut vivre en famille dans une maison emblématique de Chaudes-Aigues, ancienne propriété d’un certain Pierre Raynal, médecin mais aussi et surtout personnalité politique de premier plan : maire de la commune, président du Conseil Général, député du Cantal (comme suppléant de Pompidou, l’enfant du pays devenu Président de la République). Un bon docteur, auteur en 1976 d’un bouquin dont le titre est déjà tout un programme : Cantal, la vie ! Un programme dans lequel se reconnaît un Stéphane Chaudesaigues. Enfin, on suppose… sans trop risquer de se gourer avec un tatoueur qui raconte volontiers ne pas se lasser des paysages cantaliens «  un peu bruts, vierges (…), il y a ici une force qui me plait ». Si, au cours des siècles derniers, beaucoup d’Auvergnats ont quitté ces paysages-là pour rejoindre la capitale, Stéphane Chaudesaigues s’est donc finalement décidé à emprunter le chemin inverse. Un retour aux sources. Sans mauvais jeu de mots. Même si Chaudes-Aigues en compte quelques-unes dont la mythique source du Par, l’une des plus chaudes d’Europe avec ses 82°C naturels !

À Chaudes-Aigues, Stéphane tatoue toujours, bien évidemment, dans la boutique Graphicaderme, confortablement installée au cœur du village : « J’aime toujours autant le tatouage, je prends toujours autant plaisir à tatouer ». De superbes pièces réalistes, de ces portraits en noir et gris qui ont fait sa renommée, piquées sur des clients qui débarquent parfois de très loin dans ce bout du monde du Cantal. Mais Stéphane Chaudesaigues ne rechigne jamais à tatouer des clients venus de beaucoup plus près, pour de petites premières pièces. « J’ai un atelier dans un village », commente Stéphane, « les gens viennent me voir parce que je suis tatoueur, parce qu’ils veulent leur tatouage : des chiffres romains sur la clavicule, un pissenlit, un signe de l’infini ». Et même s’il s’ « impose d’expliquer » que ces pièces-là « ont été faites, faites et refaites », Stéphane les tatoue et s’en justifie : « C’est vite fait, tu peux le cacher mais c’est du tatouage : tu es tatoué ! ». « Et je comprends ce pissenlit sur lequel on souffle, je comprends ce signe de l’infini », assure Stéphane, « ce sont des symboles puissants ».  Et le tatoueur aujourd’hui cantalien de poursuivre : « Si aujourd’hui on parle de mode dans le tatouage, dans nos sociétés dites modernes, on cherche de l’authentique, du vrai, on a besoin de se raccrocher à quelque chose. Et j’ai finalement le plus grand respect pour ces tatouages qui ont du sens, comme autrefois ceux du bagne ; le tatouage comme rite initiatique, comme nécessité de marquer sa chair, de laisser une trace, une mémoire ». Stéphane Chaudesaigues conclue : « Même si le tatouage peut aujourd’hui paraître galvaudé, son essence reste tribale et, nous tatoueurs, cette graine de shaman, on la possède encore ! ».

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