Fabien Belvèze Decorporel, albi.

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Mardi, 25 Juin 2013

Un destin tient parfois à des riens. Un départ au service militaire, par exemple, qui met subitement fin à plusieurs années de soutenus entraînements quotidiens et c’est une carrière de cycliste pro en devenir sur laquelle on trace une croix. Et s’il n’y avait pas eu ce passage sous les drapeaux, c’est peut-être plus dans l’Équipe que dans Inked que vous auriez lu ce portrait de Fabien Belveze. Peut-être. Peut-être pas.
Alors que vu sa carrure, sa naissance à Montauban, en plein Sud-Ouest donc en pleine terre de rugby, on l’aurait volontiers imaginé en pilier de mêlée, c’est sur un vélo que Fabien passe une bonne partie de son adolescence. « Ça gazait plutôt bien » se sou­vient Fabien, sur les petites routes de son Tarn-et-Garonne natal, dans l’ascension des cols des Pyrénées.

Fabien Belvèze.

De belles « bosses » comme le Tourmalet, un des plus hauts cols routiers de France avec ses 2 515 m d’altitude, un peu casse-pattes avec une pente qui accuse ici ou là pas loin de 10 %.

Un des passages clés du Tour de France, compétition que Fabien continue à suivre, en fan, comme toutes les classiques : Liège-Bastogne-Liège, Milan-San Remo, Paris-Roubaix. Un héritage familial, le cyclisme chez Fabien Belveze : le grand-père était un passionné, c’est lui qui a mis en selle Fabien qui, en dingue du guidon, a ensuite englouti du kilomètre. Et en a bavé, pas mal, parce que s’il est un sport exigeant, c’est bien le cyclisme, qui réclame sacrifices perso, jusqu’auboutisme…

Un peu comme le métier de tatoueur, à bien y réfléchir…

D’ailleurs, ce n’est peut-être pas pure coïncidence si on retrouve, encrées sur le bras de Fabien, des références au cyclisme et au métier de tatoueur. Un bras en noir et gris qu’il vient juste de terminer, dont la réalisation par Stéphane Chaudesaigues s’est étalée sur dix longues années et qui n’est quasiment que la seule partie tatouée du corps de Fabien. Parce qu’il reste à Fabien Belveze, à la différence de nombre de ses confrères, encore beaucoup de centimètres carrés de peau vierge de toute encre. Parce que Fabien est plus tatoueur que tatoué.

Avant d’être tatoueur, Fabien roule. Beaucoup.

 

À fond dans le vélo.

Jusqu’au service militaire. Qui l’oblige à « bâcher », à abandonner. Au sortir de l’armée, Fabien peine à retrouver le niveau qui était le sien auparavant sur une selle. Et il lui faut bosser. Fabien enquille en conséquence les petits boulots. Entre deux dessins. Parce que Fabien dessine, beaucoup, depuis toujours ou presque. Comme pas mal de tatoueurs qu’Inked a rencontré, Fabien était, à l’école, le gamin qui s’installait au fond de la classe pour pouvoir dessiner tranquille, en se fermant à tout ce que pouvait bien raconter l’instit ou le prof.

Donc pour les notes : en dessin, Fabien était largement au-dessus de la moyenne, dans les autres matières un peu en dessous… Vraiment une passion le dessin pour Fabien : parce que même s’il s’est fait tatouer dès l’âge de 16 ans par un autre Fabien (chez Eskimo à Toulouse), si Fabien Belveze achète les rares mags de tattoo qu’on trouve en kiosques au milieu des années 90, c’est plus pour nourrir ses dessins que dans l’idée de se faire piquer. Et si Fabien passe tous les jours ou presque après le boulot, traîner un peu dans le shop de Michel Navas (alias Mike de Montauban, un des pionniers français, installé depuis 1993), ce n’est pas non plus pour se faire tatouer. Mais pour l’ambiance, l’accueil et la générosité de Mike qui emmène même Fabien dans des conventions comme celle de Barcelone. Mais s’il sait dessiner -il lui arrive même de vendre quelques portraits- , même s’il fréquente donc pas mal la scène tatouage, Fabien n’a pas franchement l’intention de devenir tatoueur. « Je ne l’imaginais même pas » explique Fabien, de son ton toujours posé.

Seulement Fabien commence à en avoir marre d’enchaîner des jobs où il n’a rien à exprimer.

Période de chômage, entre deux de ces petits boulots justement. Fabien est chez Mike de Montauban, feuillette un magazine et tombe sur quelques photos de tatouages signés Stéphane Chaudesaigues. Révélation. Subite envie de devenir tatoueur, d’être formé par Stéphane Chaudesaigues. Géraldine, la femme de Fabien le conforte dans l’idée. Rendez-vous est pris. Fabien débarque à Avignon avec un carton bourré de ses dessins. Il ne faut qu’une demi-heure à Stéphane pour accepter de former Fabien.

Il vend sa Harley pour financer la formation, s’achète aussi une caravane qu’il pose au camping municipal d’Avignon, sur l’île de la Barthelasse. Petite la caravane, mais avec un coin cuisine où Fabien s’ouvre chaque soir, immuablement, une boîte de raviolis (de quoi dégoûter à vie des boîtes de raviolis, c’est d’ailleurs le cas pour Fabien !).

 

Chez Graphicaderme, la formation commence, à l’ancienne avec fabrication d’aiguilles et tout le toutim.

Intense et productive, puisqu’un mois après, Fabien pique sa première pièce, une calligraphie sur l’épiderme d’un pote de l’équipe de Graphicaderme. Fabien est devenu tatoueur. Un tatoueur qui trouve ensuite une place dans un shop, à Reims, chez Frédéric Ferrer (aujourd’hui installé à Narbonne, sous l’enseigne Dermagraphic). Mais comme le balance Lino Ventura dans Les Tontons Flingueurs : « on ne devrait jamais quitter Montauban ». L’ambiance du shop est à la cool, les clients charmants mais, en Champagne, Fabien et Géraldine commencent à regretter le climat du Sud-Ouest et, avec l’arrivée prochaine d’une petite fille, souhaitent se rapprocher de leurs familles.

Pile en l’an 2000, retour au pays pour Fabien avec un vrai projet : ouvrir son propre shop.

 

Puisqu’il n’est, pour Fabien, évidemment pas question de s’installer à côté de chez Mike à Montauban, ce sera Albi, à 70 km (à la louche) à l’est.

Le père de Fabien a dégotté un local dans la préfecture du Tarn (et ville natale de Toulouse-Lautrec, un peu de culture générale ne fait jamais de mal !), à un quart d’heure à pied d’un centre historique habillé de briques rouges dont la cité épiscopale, superbe, est carrément classée au Patrimoine Mondial de l’Humanité. Fabien tatoue donc à Albi, baptise son atelier Décorporel.

Mais alors qu’à Reims, il était « bien à fond dans le tatouage », Fabien, seul dans son shop, s’installe dans la routine, fait de l’alimentaire, du commercial, se met même à douter de la qualité de ses tattoos, de sa réelle envie d’avoir une démarche plus artistique dans son boulot de tatoueur… Et, si pendant la session photo, on n’a pas demandé à Fabien de s’allonger sur le fauteuil club où il prenait la pose comme sur le divan d’un psy, on a cru comprendre­ qu’à cette période, il avait quelques comptes à régler avec son passé.

Fabien le reconnaît « il y avait dans ma vie, quelque chose de non abouti.

 

Il fallait que je termine ». Ce quelque chose à terminer, c’est le cyclisme, bien sûr.

Fabien enfourche donc à nouveau un vélo, recommence à écraser les pédales. S’entraîne pour de vrai. Pendant trois années où on croise plus Fabien sur le bitume que chez Décorporel. Avec, à nouveau, ce que ça demande de sacrifices familiaux comme professionnels. Fabien s’entraîne pour savoir jusqu’où il aurait pu aller, jusqu’où il peut aller. Ce sera jusqu’à une qualification aux championnats de France de cyclisme sur route, une compétition gagnée par quelques mecs dont les noms, même quand on ne s’intéresse pas vraiment, sinon pas du tout à ce monde-là, réveillent quelques souvenirs : Louison Bobet, Raymond Poulidor, Bernard Hinault, Laurent Fignon…

Un championnat dont le gagnant a aussi été, par deux fois, au début des années 2000, Didier Rous, cycliste pro, originaire de Montauban comme Fabien et tatoué par Mike ! Mais pour Fabien, cette qualification n’est finalement que purement symbolique, il s’est prouvé qu’il pouvait, peut désormais retourner dans son atelier de tatoueur. Sauf que dans ce métier, en ce début de XXIe siècle, les choses vont très vite et que Fabien se retrouve « largué » : « j’ai tout repris à zéro, niveau tatouage, mais avec facilité, parce que je me sentais libéré d’un poids ».

Enfin, reprendre à zéro : Fabien fait preuve de beaucoup de modestie (c’est -enfin, il nous a bien semblé- un des traits de caractère de ce garçon, la modes­tie).

 

Parce qu’il avait déjà un sérieux niveau, Fabien, niveau qui, depuis qu’il s’est « investi à fond dans le tatouage, avec passion », ne fait que grimper.

 

Et quand on voit son travail récent, on se dit que Fabien Belveze qu’on classe, pour notre part, dans les grands (Inked ne lui consacre­ par cette rubrique Icône par hasard) pourrait bien rapi­dement se hisser dans la catégorie des très grands, aux côtés de ceux qu’il avoue admirer : Stéphane Chaudesaigues, natu­rel­lement, mais aussi Den Yakovlev, Shane O’Neill, Bob Tyrrell ou Nikko Hurtado dont Fabien a suivi, il y a quelques mois, le séminaire organisé à Avignon par l’association « Tatouage et Partage ».  Tous des maîtres du réalisme. Et ce n’est pas innocent, parce que si Fabien peut piquer de tout, c’est « dans le réalisme qu’il s’éclate le plus ».

Fabien avoue un faible pour les pièces pas nécessairement grosses mais qui demandent au minimum une petite journée de boulot, avec un luxe de détails, un travail sur le deuxième (sinon le troisième) plan, à l’instar des artistes de la Renaissance Italienne dont il est fan.

 

Fabien aime bien aussi prendre le temps de bien poser ses pièces, de les adapter à la morphologie de ses clients.

Son shop ne s’appelle pas Décorporel (jeu de mot autour de corps et de décor, pour ceux qui n’auraient pas saisi !) pour rien. Un shop où Fabien ne travaille plus seul : Stéphane, un « super tatoueur en devenir », formé chez Mike de Montauban est venu le rejoindre comme Lionel, un pierceur. Un shop dont la clientèle reste aujourd’hui essentiellement régionale. Même si Fabien tatoue quand même quelques Anglais venus dans le Grand Sud-Ouest chercher un soleil qui aime jouer à cache-cache au-dessus de leur île.

Clientèle essentiellement régionale parce que Fabien Belveze ne s’est, pendant longtemps, pas montré beaucoup, pas en conventions en tout cas. Parce que, selon lui, « il ne voulait pas s’éloigner de sa famille, de ses deux enfants quand ils étaient encore petits ». On dira aussi de Fabien qu’il est aussi discret que modeste. Mais les choses évoluent doucement : Inked avait, au printemps dernier, croisé Fabien au tout premier Besançon Tattoo Show, il sera évidemment de l’aventure du premier festival du tatouage organisé début juillet par Stéphane Chaudesaigues dans le Cantal, puis mi-septembre à Perpignan, début novembre à Évian… Et Fabien ne dirait aujourd’hui pas non à des conventions à l’étranger. Il faut juste qu’il organise un peu son emploi du temps. Parce que même si Fabien Belveze reste un peu planqué dans la vallée du Tarn, il faut déjà, en moyenne, patienter quatre bons mois pour avoir une pièce de sa main… Et que si son nom commence -et on n’en doute pas- à circuler dans le monde entier, les délais risquent sérieusement de s’allonger…

Et si Fabien n’a jamais endossé de maillot jaune, ni de maillot blanc à pois rouges, s’il n’a pas inscrit son nom dans la légende du Tour, il se pourrait bien qu’il le fasse dans l’histoire du tatouage. Et, sa modestie, dut-elle en souffrir, il se pourrait bien aussi que dans la liste des personnalités nées à Montauban, figure un jour, aux côtés du trublion de mai 1968 Daniel Cohn-Bendit, du parolier Étienne Roda-Gil, d’Ingres (oui, celui du violon mais qui était… peintre bien sûr), l’artiste-tatoueur 
Fabien Belveze.

Par françois chauvin
Photos dams

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